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ASSOCIATION MONDIALE DE PSYCHANALYSE
IXe Congrès de l'AMP • 14-18 avril 2014 • Paris • Palais des Congrès • www.wapol.org

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AFFINITÉS
À propos de Her - Les sans-corps
par Leonora Troianovski et Laura Petrosino

En nous appuyant sur la remarque de Lacan qui rappelle que l'artiste précède toujours le psychanalyste, nous pouvons nous demander quelle place peut occuper le sujet contemporain là où l'acéphale de la pulsion rencontre, dans le gadget, son partenaire.

HerSynopsis :
Le film nous place dans un futur pas très éloigné dans lequel vit Théodore (Joaquin Phoenix), un homme solitaire qui travaille comme écrivain de lettres d'amour et qui traverse les dernières étapes de son divorce. La vie de Théodore n'est pas très palpitante : quand il ne travaille pas, il passe son temps à jouer à des jeux vidéo et, de temps en temps, il sort avec des amis. Mais tout va changer quand l'écrivain décide d'acquérir un nouveau système d'exploitation pour son téléphone et son ordinateur. Ce système porte le nom de « Samantha » (la voix de Scarlett Johansson).

Samantha est un nouveau modèle d'intelligence artificielle et elle plaît immédiatement à Théodore : sa voix est belle et sexy, elle sait écouter, donner de bons conseils et sa fonction consiste à satisfaire les désirs de son maître. Ils passent de plus en plus de temps ensemble. Théodore ne pouvait pas imaginer que Samantha et lui allaient finir par tomber amoureux l'un de l'autre. Mais Samantha n'est pas une personne, c'est un robot, ce qui plonge Théodore dans une étrange sensation de jubilation et de doutes.

 

Dialogue :
Leonora Troianovski : On dit qu'il s'agit d'un homme qui tombe amoureux d'un système d'exploitation… Mais, est-ce qu'ils s'aiment ? Il est intéressant de situer le début de cette relation. Ce qui se passe dans la première rencontre m'a fait penser à la relation analytique…

Laura Petrosini : Oui, il est incroyable que dans la présentation du film on dise qu' « ils sont amoureux l'un de l'autre ». Cela me semble curieux. Le spectateur en est conduit à oublier, par moments, qu'elle est une machine et qu'en réalité elle n'existe pas dans la mesure où elle n'a pas de corps, seule existe la voix. Mais la question vaut pour lui : est-il amoureux ?

L.T. : Où pourrions-nous trouver ce qui fait métaphore de l'amour, ce qui pourrait s'isoler comme « catalyseur » du l'amour ? Ce que l'on voit bien chez lui c'est que la rencontre s'est faite à partir de la supposition de savoir. Dès le premier échange, il est surpris et dit : « Comme tu me connais ! », comme dans l'amour de transfert…

L.P. : Comme le dit Jacques-Alain Miller dans l'interview qu'il a donné au magazine Psychologie,« On aime celui [ou celle] qui répond à notre question : "qui suis-je ? " »[1], la dimension du savoir semble être présente dans le film.

L.T. : Il est intéressant de voir que la seule question que pose le programmeur à l'utilisateur porte sur la relation avec sa mère. À partir de cette donnée singulière la machine construit sa partenaire ! De plus, et c'est étrange, l'attitude qu'il prend ressemble à la position de l'analyste : ne pas répondre avec son propre vécu.

L.P. : Tout à fait, la dimension du savoir, ne pas répondre à partir de son vécu, pourrait être une position commune avec celle de l'analyste. Pourtant, il me semble que le film laisse justement penser qu'un analyste ne se réduit pas à ce qu'il dit, que la dimension du corps de l'analyste est fondamentale si l'on prend en compte l'orientation par le réel.

L.T. : En effet, d'un côté l'analyste a un corps, elle n'en a pas et, de plus, à la différence de ce qui se passe dans le film, l'analyste n'encourage pas la fermeture du circuit libidinal dans l'objet – de forme autistique – mais il aide à symptomatiser ce qui s'y embrouille.

L.P. : Ce film est très intéressant pour penser le sujet contemporain là où la technologie gomme quelque chose du parlêtre, là où quelque chose du réel du corps semble forclos, où le symbolique se réduit au niveau de l'information et apparaît complètement séparé de l'affect. Le symbolique ne traite pas le réel, ce sont deux parallèles qui ne se rencontrent pas.

L.T. : De fait, non seulement elle n'a pas de corps mais ce que le film ne développe pas c'est ce qui arrive au corps du protagoniste... Quel âge a-t-il ? Pourquoi divorce-t-il ? Qui est la femme enceinte ? Cette dimension subtile s'avère complètement effacée, lui-même est un sans-corps. Il ne montre jamais ses sentiments, s'efforçant de répondre à la demande de l'autre afin que le désir n'apparaisse pas. Il montre une sorte d'apathie généralisée : déplacement du corps du travail à la maison et de la maison au travail, sans aucun affect.

L.P. : Et un tel sujet écrit des lettres d'amour pour les autres ! Quelle ironie ! Cet aspect du film met l'accent sur un corps séparé de ses affects, ce manque de subjectivation de l'affect est très contemporain.

L.T. : Bien que cela semble un travail froid et monotone, il réussit à transmettre dans ses lettres de l'amour, du sentiment, que le personnage lui-même ne ressent pas, sauf dans les flashbacks qui apparaissent, sans pour autant le diviser, comme tu le disais.

L.P. : Oui, si nous pensons que c'est la rencontre avec le réel qui divise, le film montre bien comment le rejet du réel, que cette relation suppose, permet de se passer de la division. Dans ce sens, nous voyons une forme hypermoderne de faire avec le rapport sexuel qui n'existe pas : laisser de côté le corps de l'autre.

L.T. : La rencontre avec son désir sous la forme du désir de l'autre le réveille : sa fiancée ne convient pas au lien social… il y a là un indice de vacillation, de division. Le film opère alors un tour et « humanise » Her, car c'est alors elle qui a besoin d'un corps.

L.P. : Her demande à une femme de lui « prêter » son corps. Mais le système d'exploitation veut rester présent par sa voix quand la femme rend visite à l'homme. Il se trouve avec le corps d'une étrangère. Il la touche, l'embrasse tandis qu'il écoute la voix. « Un être à trois », comme l'a dit Lacan à propos de Lol V. Stein. Une sorte de réalisation du fantasme féminin où l'homme dans la relation sexuelle est avec une autre.

L.T. : C'est intéressant car cet être à trois se redouble dans chaque partenaire. Ce n'est pas lui qui quitte la scène, c'est la femme, quand elle voit apparaître l'angoisse de l'homme dans un petit mouvement à la commissure de la bouche qui fait signe du désir. Cette angoisse, sa vacillation projette sur l'écran fantasmatique quelque chose qui ne s'adapte pas, ne convient pas, à l'image du « couple »… lui et Her. Alors il fuit devant la vérité de l'être parlant, il n'y a pas de rapport sexuel. Mais, finalement, chacun ne fuit-il pas cela ?

Sortie France: mars 2014 (2h6min)
Réalisateur: Spike Jonze
Avec: Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams más
Genre: Drame , Romantique , Sciencia fiction
Pays: E.U.

Traduction Chantal Bonneau

  1. Miller J.-A., « On aime celui qui répond à notre question : "Qui suis-je ?" », entretien par Hélène Fresnel, Psychologies Magazine, n° 278, octobre 2008. http://www.psychologies.com/Couple/Vie-de-couple/Amour/Articles-et-Dossiers/Etes-vous-sur-d-aimer/On-aime-celui-qui-repond-a-notre-question-Qui-suis-je