Un réel pour le XXI sciècle
ASSOCIATION MONDIALE DE PSYCHANALYSE
IXe Congrès de l'AMP • 14-18 avril 2014 • Paris • Palais des Congrès • www.wapol.org

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AFFINITÉS
Jocelyn Benoist
Épisode 3
philosophe
Le réel et l'hénologie

Propos recueillis par Aurélie Pfauwadel [1]
et commentés par Christiane Alberti

Sur le vif

« Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend »
Jacques Lacan, « L'étourdit », Autres écrits

Dernier épisode du dialogue Jocelyn Benoist et Aurélie Pfauwadel. Autour de la scission entre le réel et le sens, le débat se resserre... L'interrogation de Lacan sur le signifiant Un n'est-elle pas simple reconduction à la « bonne vieille métaphysique de l'Un » ? Jocelyn Benoist situe au plus juste l'enjeu de la discussion et l'antinomie des discours : le réel dont il est question, c'est celui auquel le psychanalyste a affaire.

Lacan, qui put dire que le réel était son symptôme, ne pouvait se satisfaire d'une théorie où le registre de l'être de fiction, le virtuel prenaient tant de place. Il passa au-delà en donnant au signifiant une autre valeur : il n'apporte plus au vivant le sens ou l'être, mais provoque une jouissance, en partie ineffaçable, que le symptôme répercute indéfiniment. Il n'est plus alors question de dialectique, mais d'inertie ; c'est le registre de l'existence.

À explorer les arcanes du réel, Lacan est conduit, ainsi que J.-A. Miller l'a développé dans son cours "L'Un-tout-seul", à revenir sur la question du signifiant Un, et notamment à la trouvaille de Bertrand Russell qui est de diviser le dire et le dit. Le réel est au niveau de ce qui existe et Lacan de considérer le signifiant Un comme corrélat du il existe, au-delà de l'être et de l'essence. Car le langage est ici à saisir au niveau de ce qui laisse son empreinte sur le corps avec effet de jouissance. C'est là que s'inscrit la jouissance comme opaque au sens. Nulle ontologie à ce niveau.

Christiane Alberti

 

Le réel hors sens

Jocelyn Benoist Aurélie Pfauwadel : Le réel que promeut Lacan à la fin de son enseignement est hors sens et hors loi. C'est une idée extrême, qu'on ne peut même pas se représenter. Je souhaite que nous approfondissions cette question de l'échec de la représentation à saisir le réel.

Jocelyn Benoist : Cette opposition entre le réel et le sens, entre le réel et l'intentionnel me paraît effectivement essentielle. Il s'agit d'une opposition logique, catégorielle. C'est, selon moi, une erreur de catégorie d'attendre du réel qu'il ait, intrinsèquement, une propriété d'intentionnalité ; et inversement, de prendre l'intentionnalité au pied de la lettre, comme si elle était quelque chose de réel. Un format intentionnel, ce n'est jamais qu'un format de prise sur le réel, c'est-à-dire une façon de normer le réel. La réalité n'est jamais que ce qu'elle est. On ne peut pas trouver d'autre formule : le réel n'est rien d'autre que cela.

A.P. : Lacan disait du réel qu'il est bête et stupide comme les astres ! L'une des difficultés de notre échange, c'est que vous semblez parler tantôt de ce que Lacan appelle « réel » – disons du réel dans sa teneur psychanalytique – et tantôt de la « réalité » – en un sens plus commun.

J.B. : Disons que là où ma notion de la réalité s'accorde avec le réel lacanien, c'est en ce que la réalité n'est pas pour moi de l'ordre du sens : elle est ce à quoi du sens s'applique et se rapporte. En revanche, il est essentiel de se référer à la réalité si l'on veut comprendre comment fonctionne le sens. Le sens y est fondamentalement indexé.

Là où je me dissocierais du point de vue que je crois être celui de Lacan, c'est sur sa dimension que j'appellerais « catastrophiste », ou d'« intentionnalisme renversé », qui revient à dire que si cela n'est pas de l'ordre du sens, c'est donc du hors sens – que cela résisterait au sens, serait le lieu de l'échec du sens, et de l'irreprésentable.

Le réel et le mur du langage

J.B. : Pour moi, le réel – enfin, la réalité – n'a rien d'indicible, il est parfaitement dicible. Il convient de distinguer deux thèses très différentes : la première, considérer que ce dont on parle, n'est essentiellement pas de l'ordre du dire (distinction catégoriale) et, deuxième thèse, affirmer que « comme ce n'est pas de l'ordre du dire, c'est donc indicible ». Dans cette seconde perspective, on pose un au-delà du dire : l'au-delà d'une transcendance, d'un échappement, d'une inaccessibilité. Je ne considère pas le réel comme inaccessible, je pense que c'est typiquement quelque chose à quoi l'on a accès de toutes sortes de façons.

A.P. : Mais je ne crois pas qu'il y ait chez Lacan, dans son dernier enseignement, un au-delà du dire qui prenne la forme d'une transcendance, de cette façon-là. Selon Lacan, les discours produisent des êtres de fiction qui nous conduisent à imaginer un être en deçà ou au-delà du langage. Mais pour Lacan c'est imaginaire, et il ne considère pas que nous soyons séparés du réel par le mur du langage[2].

J.B. : Expliquez-moi cela.

A.P. : Lacan en vient à franchir les limites de son ontologie sémantique de départ, en affirmant : « Y a d'l'Un ». Il s'inscrit alors dans la tradition hénologique, renvoyant l'ontologie du côté des fictions du discours, et opposant à l'être le Un, réel, qui existe[3]. Mais l'existence ne nous fait pas sortir du langage.

J.B. : Il s'agit, si je comprends bien, de cerner par là le réel auquel le psychanalyste a affaire.

A.P. : Oui. Et pour accéder à ce réel, il faut prendre le langage à un autre niveau que celui du sens. Il faut le prendre au niveau de l'écriture, du maniement de la lettre, de la trace – là où le signifiant opère, sur le corps pulsionnel, en tant que coupé de la signification. Il n'y a pas de mur du langage si nous arrivons à concevoir que l'écriture atteint et constitue l'existence[4].

Le risque de rechute ontologique

J.B. : Mais je me demande dans quelle mesure ce n'est pas jouer sur les mots que d'affirmer : maintenant, on ne va plus faire de l'ontologie, mais de l'hénologie ? Ne remplace-t-on pas un principe par un autre ?

A.P. : Vous interrogez la nécessité d'aller chercher un principe tel que l'Un ?

J.B. : Oui. Aller chercher la « bonne vieille métaphysique de l'Un », n'est-ce pas un travestissement de l'ontologie, une manière de continuer l'ontologie par d'autres moyens ? Cette résurgence de termes scolastiques, n'est-ce pas une façon déguisée, au moment même où l'on marque la faille de l'ontologie, sa limite, de remonter d'un étage et de repartir pour un tour ?

A.P. : C'est un risque, et sans doute nous faut-il veiller à l'éviter.

J.B. : En même temps, tout est dans la modalité de discours : ce qui est important c'est que cela puisse se présenter sous l'apparence d'une science qui sait qu'elle n'est pas une science et qui ironise sur la science. Une stratégie de sortie possible passe par la mise en avant de la modalité discursive. Mais cela comporte forcément un danger, parce qu'il y aura toujours des gens pour prendre cela au pied de la lettre comme étant la bonne théorie, celle capable de prendre en charge le fait qu'il n'y a pas que du dit, mais autre chose. Pour moi, il y a là le risque d'une mythologie de l'ineffable et d'une rechute dans la métaphysique.

A.P. : La position d'énonciation me paraît en effet fondamentale.

L'aspiration de la parole vers un au-delà d'elle-même

J.B. : Pour éviter cela, peut-être faut-il une clause d'abstinence beaucoup plus radicale…

A.P. : Laquelle ?

J.B. : Une clause qui consisterait à dire : il faut accepter la finitude du sens, il n'y a sens que sur fond de quelque chose qui n'est pas de l'ordre du sens, le réel. Mais ce réel n'est dans aucun « au-delà ». Il s'agit simplement d'assumer cette limite intrinsèque du discours, qui est en son cœur même. Et cela ne signifie pas pour autant que le réel soit « indicible » : car il n'y a pas de dit là où on ne dit pas, où il n'y a pas un dire. En fait, ce que vous croyez ne pas pouvoir être dit, eh bien, c'est là, dans ce que vous dites. C'est une façon d'aller jusqu'au bout de la prise en charge de la dimension d'acte du discours.

A.P. : S'il y a bien une chose dont la psychanalyse tient compte, c'est cette dimension d'acte du discours !

J.B. : L'idée qu'il y ait quelque chose dans la parole qui rende le sens possible et qui ne soit pas de l'ordre du sens, me paraît tout à fait essentielle. Et il convient d'être conscient du risque qu'il y a à en faire la théorie : risque que tout soit à nouveau réemballé dans le sens et que le dire soit à nouveau absorbé dans le dit.

A.P. : Nous sommes parfaitement d'accord.

J.B. : D'une certaine façon, du dire on ne peut rien dire, puisque le dire c'est forcément le transformer en dit et donc le recouvrir comme tel. Mais il n'est pas si facile que ça de se débarrasser de cette aspiration à ce qui ne peut pas être dit. Peut-être cela est-il dû à une aspiration à toujours aller au-delà qui serait contenue dans la parole elle-même, une clause d'extériorité contenue dans le discours lui-même ? Là-dessus, je n'ai pas de religion.

A.P. : Oui, sans doute la parole est-elle habitée, en elle-même, par cette structure d'appel et cette clause de dépassement.

Episode 1
Episode 2


  1. Interview retranscrite par Marion Outrebon et Edmond Vaurette, texte établi par Aurélie Pfauwadel.
  2. Cf. Miller J.-A., « L'orientation lacanienne. L'Être et l'Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l'université Paris viii, 2011, inédit.
  3. Ibid.
  4. Ibid.