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AFFINITÉS
Leopoldo Brizuela
auteur
Cet obscur objet de l'écriture

Entretien réalisé par Christian Ríos

Leopoldo Brizuela

Leopoldo Brizuela est né en 1963 à La Plata. Il a été salué par la critique pour ses œuvres, telles que Tejiendo agua, qui a reçu le prix Fortabat, Inglaterra, Una fábula (1999), Prix Clarín, Una misma noche (2012), récompensée par le Prix Alfaguara, Lisboa, Un melodrama (2010), Los que llegamos más lejos, relatos (2002) y Fado, poemas, (1995), entre autres. Son dernier roman, Una misma noche (La Nuit recommencée, Seuil, 2014)vient de paraître en français.

Dans le présent entretien, Leopoldo Brizuela nous parle de l'obscurité en tant que moteur de l'écriture, mais aussi de sa tentative d'écrire ce qui ne peut s'écrire, de la solitude comme recherche de l'écrivain, des impasses comme des surprises qui surgissent au moment d'écrire.

L'écriture organique
Christian Ríos : Pourquoi écrivez-vous ? Quel est, selon vous, le moteur de l'écriture ?

Leopoldo Brizuela : Ces questions sont de celles auxquelles on ne peut jamais répondre qu'approximativement : la réponse reste toujours à inventer, et la véritable raison demeure hors d'atteinte. Car il peut y avoir des raisons biographiques, mais cela dépend aussi de l'aspect abordé. Il y a, d'une part, les raisons pour lesquelles on imagine des histoires et, d'autre part, les raisons bien différentes pour lesquelles on écrit. C'est très complexe.

Il ne s'agit pas simplement de savoir pourquoi je suis narrateur, mais pourquoi j'écris ? pourquoi l'écriture ? Je suppose que cela tient pour partie à la manière de raconter des histoires et d'imaginer de mon époque. On peut penser à l'époque où le roman n'existait pas, à celle où l'écriture n'existait pas, ou à une situation où je serais né dans une classe sociale qui n'ait pas accès à la l'écriture : qu'aurais-je fait alors ? Je serais peut-être devenu fou, mais j'aurais sans doute trouvé autre chose. Je ne sais pas. C'est certain qu'à un moment il n'est plus possible d'arrêter, cela devient quelque chose d'absolument organique. Par exemple, lors de la crise de 2001 à cause de laquelle tout le monde était si désespéré, je me demandais « mais qui va encore venir à mes cours ? » et « pourquoi vais-je écrire ? ». C'est là qu'on se rend compte qu'on n'écrit pas pour être publié mais pour autre chose qui n'a rien à voir avec la publication, ni même avec la communication avec l'autre. Cela semble antipathique, mais c'est ainsi. Écrire est une manière de penser de soi-même avec soi-même. Un dialogue avec soi-même, comme le dit Hannah Arendt, qui prend la tournure d'un besoin organique. Doris Lessing dit « je suis un animal qui écrit ». Je crois que c'est pour comprendre.

Il y a un moment clef dans l'écriture, celui où l'on arrête d'écrire ce que l'on sait pour écrire ce que l'on ne sait pas. Et je pense que c'est comme ça que commence la Littérature : lorsqu'on arrête d'écrire ce qui semble clair pour aller vers ce qui semble obscur.

L'obscure visée et l'impasse
Ch.R. : L'obscur peut-il être un moteur ?

L.B. : Bien sûr. Ce qui se passe équivaut à ne pas répondre. Quelque chose d'obscur advient, mais c'est précisément cela. Avez-vous lu la dernière page de La Nuit recommencée ? Cela finit par une page noire. Je crois que c'est ce qui arrive toujours quand on finit d'écrire. On rencontre l'obscurité. Mais une obscurité prometteuse, de laquelle jaillissent les autres histoires.

Ch.R. : Rencontrez-vous, parfois, des impasses dans votre écriture ?

L.B. : Oui, tout le temps. Mais dans mon cas l'impasse n'a rien à voir avec le fait de ne pas écrire, c'est plutôt écrire de l'écume, écrire des bêtises. Je n'ai pas de problème avec ça, il n'y a aucun mystère. Être le scénariste d'une série télévisée, où l'on raconte que, dans la première scène, les personnages se rencontrent, dans la seconde, ils tombent amoureux, dans la troisième, ils font l'amour, dans la quatrième, ils s'engueulent, je peux le faire, facilement. Mais le cœur de l'affaire, c'est autre chose : c'est qu'au-delà de tout ceci, qui arrive, adviennent de l'inconnu et de l'imprévisible. C'est très rare.

Mon impasse propre ne réside pas dans l'impossibilité d'écrire, mais dans celle d'écrire de la Littérature. J'écris des choses que je défais ensuite. Et c'est aussi une forme de sécheresse. Cela m'arrive souvent avec la répétition. Je ne tolère pas de me répéter. Je m'ennuie tout de suite dès que je sens que j'écris quelque chose que j'ai déjà écrit et quand je m'ennuie, je perds le plaisir d'écrire. Écrire est un plaisir. Pour moi, c'est une malhonnêteté infinie envers le lecteur.

Une énigme non formulée en mots
Ch.R. : Pourriez-vous établir une relation entre la contingence (les surprises) et l'écriture ? Avez-vous rencontré certaines contingences – par exemple, au début ou pendant l'écriture d'une histoire – qui ont changé votre écriture ?

L.B. : Il y a tout le temps des surprises dans l'écriture. Ce sont elles qui donnent la sensation qu'il faut continuer à écrire, qu'on est sur le bon chemin, justement parce que la surprise est au rendez-vous.

La réalité a une influence importante sur la gestation de l'écriture. Dans mon dernier roman, j'ai travaillé à partir des jugements piochés dans mon expérience concrète et dont je tirais des idées.

Ch.R. : Dans votre dernier roman, vous vous inspirez de deux situations vécues, contingentes. L'une était d'avoir été témoin d'un vol, et l'autre, une razzia policière pendant la dictature.

L.B. : Oui bien sûr. Mais, en même temps, la réalité est ce que chaque roman fait éclater. Il est certain que lorsqu'on est totalement pris dans un texte, on est si attentif que, comme le dit Marguerite Duras, tout travaille pour soi. Si je suis en train d'écrire sur deux femmes et que deux femmes passent devant moi, ça y est ! je copie leur manière de s'habiller ! C'est le bonheur absolu parce que tout semble résonner avec le projet d'écriture et avec les questions que l'on se pose sur la réalité à ce moment-là. Ce questionnement n'enferme pas ou concerne des choses concernant lesquelles on ne dispose pas d'interprétation arrêtée. Tout se passe comme si la réalité renfermait une énigme, mais pas formulée avec des mots – sinon on pourrait y répondre beaucoup plus facilement. Telle une image qui ne se ferme pas, et que l'on doit remplir avec une histoire, dans l'espoir de comprendre ce qui s'est passé – c'est aussi cela qui motive.

L'une des plus belles surprises de l'écriture émerge alors que l'on pense être en train de parler de quelque chose et qu'à la moitié du roman, l'on se rend compte que ce qui est important, c'est tout autre chose ! Dans La Nuit recommencée, je pensais que l'important était la politique puis je me suis aperçu que c'était autre chose, qui avait à voir avec le père.

Solitude de l'écriture
Ch.R. : Comment la solitude joue-t-elle dans l'écriture ?

L.B. : C'est fondamental. Je crois que la solitude est une recherche. Il me semble que la solitude est l'une des raisons pour lesquelles on fait le choix de l'écriture : il n'y a personne d'autre que soi. Je suis musicien ; cela entraîne un contact et une soumission au public qu'il n'y a pas dans l'écriture. Tu es seul. Je défends beaucoup la solitude de l'écriture et je pense qu'actuellement elle est menacée. Il y a tellement d'obstacles à l'intimité. Non pas qu'on sache, ou pas, avec qui tu couches, mais plutôt des obstacles à la solitude face au texte, face à la nécessité du texte. Aujourd'hui on écrit plus pour répondre à la demande que pour autre chose, et cela me semble terrible. Je crois que les gens ne se rendent pas compte qu'ils sont en train d'écrire en présence de l'autre – sur Facebook, dans les chroniques à la mode, etc. Il me semble important que le premier public de quelqu'un soit lui-même, avant les autres.

Leopoldo Brizuela
La Nuit recommencée, Seuil, 2014

 


Traduction de Perrine Guéguen
Texte édité par Aurélie Pfauwadel