En 1973, Lacan dit en parlant de l'amour : « Il faut que, par l'intermédiaire de ce sentiment, ça aboutisse en fin de compte (…) à la reproduction des corps »[1].Dix ans plus tôt, il dit : « Seul l'amour permet à la jouissance de condescendre au désir. »[2] Lacan situe l'amour non seulement comme une suppléance du non-rapport sexuel[3], mais aussi comme ce qui permet au sujet de tolérer la jouissance.

Aujourd'hui, nous constatons de plus en plus le renversement de cette formule. Sur Internet, les gens cherchent à rencontrer des partenaires à partir de leur trait singulier de jouissance, au fond celui qui correspond le mieux à leur fantasme. C'est l'impératif Jouis ! qui guide le choix du partenaire. Quelle place alors pour l'amour au XXIe siècle, où la rencontre est guidée par la jouissance, où les lettres d'amour sont réduites aux textos, où la réponse se doit d'être immédiate ? Le temps logique n'est-il pas écourté à l'instant de voir ?

Un jeune patient raconte qu'après avoir passé la nuit avec une fille, il a décidé de la texter pour lui proposer de sortir. Il pense qu'elle n'est pas intéressée à donner suite car elle n'a pas répondu à son message… au bout de deux heures. La jouissance serait une des façons de supporter le temps, l'incertitude liée au Che vuoi. Serait-ce aujourd'hui la jouissance qui permettrait au sujet de tolérer l'amour ?

Ruzanna Hakobyan
NLS, Canada, Montréal