L'artiste ne cherche pas à créer de l'illusion, il cherche le réel. Et, paradoxalement, c'est dans son imaginaire qu'il le trouve.
C'est précisément dans cet espace intérieur, sans limite et sans loi, qu'il peut entrevoir une authenticité, un non-sérieux et un non-vrai nous dit Maurice Blanchot : « C'est dans l'irréalité même que le poète se heurte à une sourde présence, c'est d'elle qu'il ne peut se défaire, c'est en elle que, dessaisi des êtres, il rencontre le mystère de "ce mot même : c'est", […] »[1].
À l'inverse d'un monde d'action, d'efficacité et de savoir – « la conquête, toujours plus agissante et plus objective, du monde selon le souci de l'esprit qui réalise et la volonté qui produit »[2] –, l'artiste se tourne vers l'inutile, l'indéfini et le non-savoir. Voilà un des nombreux paradoxes de l'expérience artistique moderne en tant que monde renversé. Ainsi Giorgio Agamben, dans son avant-propos à Stanze, exprime « la conviction qu'il n'est possible de s'approprier le réel et le positif qu'à la condition d'entrer en rapport avec l'irréel et l'inappropriable comme tels »[3].
Orphée descend aux enfers pour retrouver Eurydice. Il se tourne vers l'aimée dans un mouvement irrépressible – « l'inspiration », dit Blanchot – qui conduit instantanément à la perte de l'être cher. C'est le regard tragique et halluciné de Pablo Picasso dans son dernier autoportrait, effort inouï, ultime, pour voir ce qui ne peut être vu, pour nommer l'innommable. « L'Art commence où fuit la vie », écrit le peintre Louis Soutter[4].
C'est pourquoi l'expérience artistique est devenue vertigineuse. L'effroi, la peur, l'errance et le vide, autant de réalités face à l'irréalité même du monde et à la mort, indicible, impensable, inconcevable.
Quant à l'œuvre elle-même, poésie dont la source est le rêve, elle est floraison humaine d'un instant.